HealthManagement, Volume 6 - Numéro 2, 2013

Une Démarche Originale De Coopération Entre Médecins Radiologues Ou Nucléaires Et Manipulateurs d’Electroradiologie Médicale
Auteurs

Jean-Maurice Pugin

Secrétaire général du Comité d’harmonisation des centres de formation des manipulateurs

Directeur de l’IFMEM du CHU de Nancy

Nancy, France

[email protected]

 

Prof. Michel Claudon

Chef du department de radiologie

Hôpital de Brabois Adultes CHU de Nancy, Nancy, France

[email protected]

Parmi les mesures prises par la loi HPST* du 21 juillet 2009 pour faire évoluer le système de santé figure l’amélioration de la coopération entre les professionnels de santé. En application de cette disposition législative, le CHU de Nancy et le CHR Metz-Thionville ont déposé, en juillet 2011, dans le cadre de leur communauté hospitalière de territoire (CHT), un dossier commun auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) de Lorraine. Le directeur de cette dernière, suite à l’approbation de la Haute Autorité de santé (HAS), a pris un arrêté en date du 15 mai 2012 autorisant l’application d’un protocol de coopération entre médecins radiologues ou nucléaires et manipulateurs d’électroradiologie médicale formés à l’échographie exerçant au minimum 50 % de leur temps de travail dans ce domaine. Ces quelques lignes se proposent de relater les fondements de la démarche, l’originalité et le bilan de la construction du projet.

 

Les Expérimentations « Berland »

En 2003, dans son rapport « Coopération des professions de santé : transfert de tâches et de compétences », le Prof. Berland a souligné l’intérêt de mettre en place des experimentations conduisant à la réalisation par des paramédicaux d’actes exclusivement réservés aux médecins. La loi du 9 août 2004 relative à la santé publique a autorisé la possibilité dérogatoire de mettre en place ces dispositions visant à évaluer, en y integrant la qualité et la sécurité des soins dispensés, la faisabilité de nouvelles formes d’organisation dans la prise en charge des patients entre médecins et professionnels paramédicaux.

 

Les conditions précises de réalisation, notamment la liste des actes délégués, les procédures d’évaluation et les établissements concernés ont fait l’objet de deux arrêtés successifs en décembre 2004 puis en mars 2006. Ce dernier introduisait dix nouvelles thématiques de coopération parmi lesquelles « la realisation d’échographies par un manipulateur d’électroradiologie médicale » sur trois sites : le CHU de Rouen, la Clinique Pasteur de Toulouse et le CHR de Metz.

 

En février 2008, un rapport final sur l’évaluation qualitative des expérimentations est rédigé par le Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH). La HAS complète ce document par un second, en juin 2008, portant sur les évaluations quantitative et le recueil de l’avis des patients. Ces deux rapports dressent un bilan positif sur la possibilité de modifier la répartition des tâches entre médecins et paramédicaux dans des conditions précises, notamment de formation, garantissant la qualité des prestations offertes aux patients.

 

La Loi Du 21 Juillet 2009

La loi HPST* du 21 juillet 2009, dans son article 51 « donne la possibilité aux professionnels de santé de s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet des transferts d’activités ou d’actes de soins. (…) Ils interviennent dans la limite de leurs connaissances et de leur experience ainsi que dans le cadre de protocoles définis aux articles L 4011-2 et L 4011-3 ». Cette mesure juridique permet « d’enfreindre légalement » les conditions d’exercice légales et réglementaires des professions paramédicales, dans la mesure où le transfert fait l’objet de protocoles par les Agences Régionales de Santé après validation par la Haute Autorité de santé.

 

Ainsi, par dérogation aux dispositions de l’alinéa g de l’article R 4351-2 qui autorise le recueil de l’image ou du signal sauf en échographie, les manipulateurs engagés dans un protocol de coopération répondant aux exigences des articles L 4011-2 et L 4011-3 pourraient réaliser des actes d’échographie.

 

Le Cadrage National De La Coopération En Echographie

Dès la parution des arrêtés d’application de l’article 51 de la loi HPST, le dossier de l’échographie fut au coeur des reflexions communes entre les représentants du Conseil Professionnel de la Radiologie (G4), l’Association Française du Personnel Paramédical d’Électroradiologie (AFPPE) et le Comité d’Harmonisation des Centres de Formation de Manipulateur d’Electroradiologie Médicale.

 

La décision fut rapidement prise de proposer un cadrage national du mode de coopération en échographie entre médecins radiologues et manipulateurs ERM. Un document remis à la HAS en janvier 2011 traduisit la convergence d’approche, dans ce domaine, des responsables des instances representatives professionnelles qui, comme le prévoit l’article 4 de l’arrêté du 31 décembre 2009, peuvent être sollicitées par l’ARS lors de l’instruction des dossiers.

 

Ce cadrage portait sur les aspects suivants :

• la loi HPST* est une opportunité pour inscrire l’exercice des manipulateurs en échographie dans un environnement légal ;

• conformément à cette loi, la coopération en matière d’échographie se fonderait sur une volonté bilatérale autour d’un projet commun. Il ne s’agit nullement d’une demarche contrainte ni pour les médecins radiologues, ni pour les manipulateurs ERM ;

• les activités et compétences du manipulateur ERM en échographie seraient une déclinaison des référentiels élaborés en 2010 lors des travaux de réingénierie de la formation ;

• les manipulateurs effectueraient l’acquisition des images ou signaux, en application de protocoles établis par les médecins radiologues qui rédigeraient le compte rendu de l’examen avec l’établissement du diagnostic ;

• les échographies cardiaques et obstétricales seraient excludes du champ de la délégation ;

• la pratique de l’échographie par les manipulateurs serait subordonnée à la validation d’une formation complémentaire, obligatoire, qualifiante et structurée au niveau national. Cette formation constituerait une adaptation, pour les manipulateurs, de l’actuel diplôme médical inter-universitaire d’échographie (DIUE) ;

• un dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE) comportant un contrôle des savoirs cognitifs et opérationnels serait envisagé, sous certaines conditions, pour les manipulateurs ayant déjà une expérience en échographie.

 

Dans un souci d’efficacité et de cohérence, le conseil professionnel du G4 et les représentants des manipulateurs souhai-tèrent que la région Lorraine propose un dossier de cooperation déclinant les accords nationaux. Conformément aux dispositions de l’article 51 de la loi HPST, d’autres équipes françaises pourraient ensuite s’approprier le protocole après validation de celui-ci par la HAS. Fin mai 2011, la Société Française de Biophysique et de Médecine Nucléaire donna son accord pour être associée au cadrage national décrit précédemment.

 

La Démarche Lorraine

Le choix par les instances professionnelles nationals de la région Lorraine reposait sur plusieurs arguments :

• une ARS très proactive en matière de cooperation entre professionnels de santé ;

• l’appartenance, à l’époque, au CHU de Nancy du president national du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF), en outre président de la WFUMB (Word Federation for Ultrasound in Medecine and Biology) et du secrétaire général du Comité d’harmonisation des centres de formation de manipulateurs ERM, tous deux fortement impliqués dans l’élaboration du cadrage national évoqué précédemment ;

• des liens étroits entre deux grands centres hospitaliers ayant choisi, depuis plus de vingt ans, d’intégrer les manipulateurs dans les équipes médicales d’échographie, en particulier le CHR de Metz-Thionville qui fut un des trois sites d’expérimentation dans ce domaine.

 

Outre ces caractéristiques, il convient de souligner la volonté de ces deux structures de soins de développer concrètement une véritable dynamique de communauté hospitalière de territoire.

 

Dans ce contexte très favorable, un groupe de « pilotage » fut mis en place. Les principes structurant la composition et le fonctionnement de ce groupe se déterminèrent ainsi :

• proposition d’un protocole de coopération commun aux deux structures hospitalières publiques ;

• association aux travaux, dès la première réunion, des manipulateurs en échographie, des médecins concernés, des cadres supérieurs de pôles et du directeur de l’Institut de Formation de Manipulateur du CHU ;

• exploitation de l’expérience méthodologique du CHR de

Metz-Thionville issue de la mise en place et du suivi de l’expérimentation menée en 2007 ;

• intégration des accords nationaux dans la rédaction du protocol en particulier sur la nature de la délégation et la formation complémentaire des manipulateurs ERM ;

• constitution d’un groupe de production composé des deux cadres supérieurs des pôles d’imagerie des deux établissements et du directeur de l’IFMEM. Le but de ce groupe fut d’élaborer des « documents martyrs » modifiés, completes et validés par le comité de pilotage ;

• participation des représentants de l’ARS à toutes les réunions du comité de pilotage.

 

Bilan De La Construction Du Projet

Sans procéder à une analyse précise du « vécu » de la construction de ce projet, plusieurs remarques, commentaires ou enseignements se dégagent néanmoins :

• pour les établissements concernés, en regard de l’antériorité de la pratique, le projet d’un protocole de coopération entre médecins radiologues et manipulateurs ne constitua pas une véritable innovation et ne rencontra pas les freins liés aux identités professionnelles évoqués dans les différents rapports ou guides de la HAS. Néanmoins, lors de la première réunion, des craintes apparurent parmi les manipulateurs « en échographie » les plus anciens quant aux modalités de validation d’une formation qualifiante obligatoire. La presentation détaillée du dispositif de VAE proposé dans la maquette du diplôme inter-universitaire d’échographie destiné aux manipulateurs dissipa rapidement les angoisses légitimes ;

• dans toutes les étapes d’élaboration du projet, la participation systématique des « acteurs » paramédicaux et médicaux permit d’envisager conjointement, dans le détail, tous les aspects de la coopération, évitant le développement de « zones d’ombre » à l’origine de malentendus, d’interprétations diverses et in fine de causes d’échecs dans la mise en place ;

• le cadrage national évoqué précédemment facilita la description du protocole clinique de la prise en charge des patients et des modalités de formation des manipulateurs ;

• malgré les enseignements tirés de l’expérimentation menée au CHR de Metz-Thionville, ce sont les volets consacrés à la démarche qualité et à l’évaluation de l’application du protocol qui mobilisèrent le plus de réflexion et de compétences. L’identification des risques inhérents au transfert d’actes, les actions préventives mises en oeuvre, le choix d’indicateurs pertinents nécessitèrent plusieurs moutures rédactionnelles successives ;

• la constitution d’un groupe de production permit d’accroître l’efficacité de la démarche de construction, notamment lors du renseignement des nombreux items de la grille du protocole.

 

Conclusion

Le « protocole lorrain » de coopération, déclinant des accords nationaux, élaboré en étroite collaboration entre médecins radiologues, médecins nucléaires et manipulateurs semble avoir atteint ses objectifs puisque sept régions ont déjà pris un arrêté s’y référant.


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