HealthManagement, Volume 6 - Numéro 2, 2013

Constats Après Un An De Mise En Oeuvre
Auteur

Béatrice Jamault

Directrice des soins, Directrice de l’Institut de formation

de manipulateurs CHU d’Amiens Amiens, France

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Fin 2009, la profession de manipulateur a pris l’initiative de s’engouffrer dans la dynamique lancée conjointement par les ministers de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de réformer la formation de l’ensemble des professions de santé pour se mettre entre autre en coherence avec les accords de Bologne. Les référentiels activités, compétences et formation ont été écrits de façon enthousiaste et rapide, en moins de deux ans, grâce au travail synchrone des associations professionnelles – Association Française du Personnel Paramédical d'Électroradiologie (AFPPE) et Comité d’Harmonisation des Centres de Formation – et de groupes constitués à l’initiative de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS). Ces référentiels portent les volontés de réforme partagées par tous les partenaires.

 

À Amiens, nous bénéficions de l’expérimentation d’un partenariat universitaire en cours depuis sept ans. Après une double inscription et grâce à une maquette travaillée avec l’Institut d’Ingénierie de la Santé (Unité de Formation et de Recherche de sciences de santé : UFR de santé), les étudiants obtiennent de manière simultanée le diplôme d’État (DE) et la licence biologie humaine et technologie de la santé. Par ailleurs, nous avons anticipé la mise en place du nouveau référentiel de formation dans sa partie enseignements théoriques à partir de septembre 2011 afin de profiter de l’année blanche au cours de laquelle les référentiels déjà validés avaient recueilli un avis favorable du Haut Conseil des Professions Paramédicales mais n’avaient pas fait l’objet de publication. Ceci nous donne actuellement deux ans de recul sur l’application et nous aide surtout à faire des constats et à envisager des aménagements progressifs du projet pédagogique.

 

C’est au travers de l’éclairage de cette expérience que seront relevés ici la plupart des verrous et des questionnements en cours, autour de trois axes : l’universitarisation, la pédagogie, et l’aspect organisationnel.

 

L’Universitarisation De La Formation

En amont même de la réflexion pédagogique, l’universitarisation pose la question du diplôme et des engagements avec l’université.

 

Un Seul Diplôme Professionnel

Le préalable consistait à harmoniser nos diplômes, DE (diploma d’État) et DTS (diplôme de technicien supérieur en imagerie médicale et radiologie thérapeutique), en un seul diplôme professionnel. Les centres de formation y étaient prêts, le diplôme d’État serait délivré à l’ensemble des étudiants de toutes les filières ayant bénéficié d’une formation équivalente sur la base du referential écrit ensemble. Les textes publiés au cours de l’été 2012 imposent une phase transitoire, que nous souhaitons courte, dissociant encore les deux filières malgré la volonté commune d’harmonisation.

 

L’Obtention Du Grade De Licence

Les accords de Bologne incitent à l’inscription de l’ensemble des cursus dans la logique LMD (LMD pour licence-master-doctorat). L’obtention du grade de licence inscrite dans la réforme, du fait même de cette procédure d’universitarisation, est donc logique. Pour autant, la notion de grade ne recueille pas l’unanimité.

 

Les trois ans de formation et les 180 ECTS* donneraient-ils deux types d’accès aux diplômes, la licence pour les enseignements universitaires pur jus et le grade universitaire pour les autres ? L’expérimentation que nous avions mise en place à Amiens offrait à nos étudiants un double diplôme, le DE et une licence, moyennant une double inscription. Dans le modèle adopté, l’UFR santé participait à une partie de nos enseignements et validait les enseignements de l'Institut de Formation de Manipulateurs en Electroradiologie Médicale (IFMEM). Cette experimentation a montré la faisabilité du système et elle aurait certainement, selon le rapport IGAS/IGAENR** de février 2013, pu être étendue. Pourtant, la mise en application de la réforme des études de manipulateurs a conduit à son arrêt. Faut-il en prendre ombrage ? Si licence ou grade de licence ouvrent droit à des poursuites de scolarité en master, on peut se demander si on doit porter attention à cette différenciation. Elle signe un parcours effectué hors d’une UFR identifiée, une co-construction permise par un partenariat entre l’institut et l’université qui conduit à un crédit de formation de 180 ECTS suffisant pour envisager sereinement des poursuites de scolarité pour qui le souhaite. L’objectif n’était-il pas d’offrir une lisibilité aux diplômes professionnels pour permettre une évolution ultérieure ?

 

Le Conventionnement De Chaque Centre De Formation Avec Une Université

L’obtention du grade est malheureusement encore compliquée aujourd’hui. En effet, pour être opérante à l’échelon national, elle impose le conventionnement de chaque centre de formation avec une université. On peut craindre que cette mesure ne soit bloquante. Au début de l’été 2013, les négociations étaient partout engagées et souvent pratiquement abouties. Cependant trois conventions seulement semblaient signées : Amiens, Clermont-Ferrand et Valence. Ces conventions lient les établissements, les universities et les conseils régionaux. Elles ne sont pas de simples documents administratifs : elles permettent d’identifier les engagements mutuels, l’intervention des universitaires, les droits des étudiants et services universitaires, etc. Notre expérience antérieure commune avec les équipes universitaires a certainement facilité les rapprochements pédagogiques, mais que dire du niveau national ?

 

Dans cette démarche d’universitarisation, tout n’est donc pas encore réglé. Des enjeux nouveaux apparaissent – d’ordre financier, de gouvernance de certification, etc. – et des réflexions sont encore à conduire. Les ministères acteurs au système guideront vraisemblablement vers une harmonisation où la profession de manipulateurs n’est pas la seule engagée.

 

La Pédagogie

Au plan pédagogique, si l’universitarisation a pour effet de renforcer les enseignements académiques, la mise en oeuvre de cette réforme a aussi bien d’autres vertus, notamment de professionnaliser le parcours de l’étudiant.

 

Car si la structuration des unités d'enseignement (UE) offre des opportunités de rapprochement avec différentes composantes universitaires – sciences humaines et sociales, sciences et physique, santé, droit – ceci constitue indéniablement un enrichissement et un remaniement pertinent des apports à condition que les liens et les équilibres soient préservés. Le travail avec des équipes élargies d’enseignants et de formateurs montre l’importance, pour la lisibilité du projet pédagogique, du pilotage par l’IFMEM de la ligne pédagogique, de la coordination des enseignements, dans une visée certes ouverte sur les enseignements fondamentaux mais concourant aux exigences professionnelles et de prise en soins.

 

Cette qualité de professionnalisation attendue de tous est renforcée aussi par les modifications apportées à la formation clinique.

 

Le dispositif a été complètement transformé : les méthodes de suivi, l’évaluation des acquisitions au travers des compétences, l’outil portfolio, le parcours de stage qui laisse une large place à l’individualisation, etc. L’application a nécessité des mises au point communes où les étudiants étaient indispensablement engagés avec les formateurs et manipulateurs, cadres et tuteurs. Nous avons realise des sessions de formation où le rôle de formateur était partagé par tous, ce qui nous a aidé à comprendre les outils, traduire et s’approprier en langage universel les référentiels, convenir progressivement des conditions d’acquisition de compétences en contextualisant et en se référant aux situations pour affirmer le sens.

 

La réforme vise par ailleurs à amener l’étudiant à devenir un professionnel « autonome, responsable et réflexif ». Elle impose un remodelage des stratégies pédagogiques vers des approaches plus actives où l’étudiant recherche et établit les liens entre savoir et action et exerce son raisonnement et son sens de l’analyse. Plus riche pour assurer l’intégration des savoir, les render mobilisables puis transposables, cette approche est évidemment plébiscitée par les formateurs qui en mesurent la justesse, mais il faut apprendre et maîtriser les méthodes, trouver les outils disponibles ou les créer, etc. Les cours magistraux sont souvent plus faciles à conduire. En revanche, les travaux dirigés, travaux pratiques et séances de simulation demandent une construction pédagogique plus élaborée, une écoute des étudiants plus attentive et une évaluation de leurs productions plus structurée.

 

Heureusement, cet afflux de travail des formateurs se traduit par un résultat tangible chez les étudiants qui, plus sollicités, s’engagent dans leurs apprentissages et font preuve de plus d’intérêt au travail : « L’élève n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume » a dit Montaigne.

 

L’Aspect Organisationnel

Si la réflexion pédagogique est l’élément central pour assurer la réussite de cette réforme, les aspects organisationnels sont, au quotidien et de façon très pragmatique, ceux qui embolisent et retiennent encore l’attention aujourd’hui. Les référentiels de formation antérieurs étaient rodés et donc bien maîtrisés par l’ensemble des partenaires. Le nouveau référentiel répond favorablement à nos aspirations et attentes mais il nous confronte à de multiples interrogations. Pour le rendre opérationnel, nous devons analyser nos pratiques pédagogiques et propositions, en tirer des conclusions et trouver des approches progressivement plus ingénieuses et innovantes.

 

Le Rythme

Le rythme est soutenu pour les équipes qui, à moyen constant, absorbent ce changement majeur, mais il l’est surtout pour les étudiants. En effet, le modèle de répartition en unités d’enseignements (UE) est identique à celui de l’université avec une différence : au cours du semestre, aux périodes d’enseignements se retranchent les périodes de stages, ce qui gêne la fluidité du dispositif, en obligeant de condenser les cours et evaluations sur un temps finalement plus court, ce qui laisse aux étudiants peu de temps pour intégrer leurs apprentissages et pour le travail personnel que le dispositif réclame, ce temps pourtant indispensable à une approche réflexive.

 

La Répartition et Le Découpage Des UE

La répartition et le découpage des UE au cours des semestres sont prescrites dans le référentiel. Leur agencement présente parfois des incongruités chronologiques qui demandent d’avoir en perspective l’ensemble du parcours et de mettre en perspective la construction de liens qui ne sont pas forcément linéaires.

 

Le Système d’Evaluation

Le système d’évaluation s’est alourdi. Notre expérience issue de deux ans d’application du référentiel nous amène à constater que le nombre d’évaluations au cours d’une année a augmenté de 50 % avec le nouveau référentiel, alors que 60 % des UE sont validées par une note unique.

 

Pour faire évoluer ce constat, nous essayons de penser l’évaluation autrement :

• en essayant de grouper dans une même évaluation plusieurs UE, et en tentant d’injecter plus d’évaluation continue ;

• en contournant l’approche écrite, et plus souvent au décours d’approches actives d’enseignement : mises en situations simulées, pratiques réflexives ;

• en essayant de sortir du carcan de l’évaluation chiffrée comme nous l’avons réussi pour la formation clinique.

 

On constate un morcellement des évaluations, les disciplines dites « coeur de métiers » sont globalement moins représentées que par le passé. Pour exemple en première année : avec le référentiel de 1990, 60 % des évaluations étaient portées par « anatomie - physiologie, imagerie, technique de soin et raisonnement clinique ». Aujourd’hui ces mêmes enseignements en première année ne représentent que 40 % des évaluations. Il nous semble essentiel de suivre cet indicateur qui peut traduire le sens donné, transmis – ou ressenti ? – aux différentes disciplines.

 

Une Tentative De Modélisation Des Résultats De Passage

Notre application anticipée de programmation du nouveau référentiel à partir de septembre 2011 nous a permis de modéliser les résultats de passage en année supérieure (pour autant, les étudiants validaient officiellement sur les anciennes modalités). Nous bénéficions donc aujourd’hui des résultats de deux promotions de première année et d’une de deuxième année. Comme ils sont obtenus sur des petits nombres – promotions de vingtsept à trente étudiants – nous ne parlerons que de tendance.

 

Il semble que la réforme du mode de formation et d’évaluation :

- ait une influence faible sur les redoublements, plutôt à la hausse en première année, et soit sans incidence sur la deuxième ;

- potentialise le recours aux sessions de rattrapage : rares sont les étudiants n’y ayant recours pour aucune des UE ;

- met en évidence que certaines UE sont plus cause d’échec que d’autres. L’approche pédagogique sera retravaillée, les objectifs revus ;

- génère l’apparition de passage en année supérieure d’étudiants avec des dettes d’ECTS, ce qui est évidemment une situation nouvelle et inconnue. Néanmoins, les situations individuelles sont très différentes :

• les fortes dettes de 8 à 12 ECTS sont rares : elles concernent, selon les promotions, deux à trois étudiants ;

• les dettes les plus souvent rencontrées se situent autour de 2 à 6 ECTS et elles concernent six à huit étudiants, soit 20 à 25 % de la promotion.

 

La difficulté va être d’accompagner ces étudiants pour revalider les UE manquantes. Comment éviter la double peine pour celui qui, ayant eu du mal à tout intégrer, va devoir suivre son année nouvelle plus une part de l’année précédente ? Dans un calendrier que nous savons très contraint, comment individualiser un parcours en ajoutant des UE pour certains étudiants ? Toutes les équipes de formateurs sont dans cette interrogation.

 

Comme lors de la mise en place du portfolio, nous avons partagé cette préoccupation avec les étudiants pour trouver ensemble des solutions :

- « Personne avisée en vaut deux » : la présentation en fin de premier semestre des résultats obtenus et l’expression de nos interrogations et préoccupations ont déjà provoqué une prise de conscience parmi les étudiants qui, en comprenant le rythme et le niveau d’exigence, réagissent. Les performances sont globalement meilleures dès le deuxième semestre : moins d’UE à rattraper, meilleur engagement au travail ;

- lors de l’accueil et de la présentation de la formation aux étudiants de première année, les étudiants des années supérieures participent aux ateliers, décrivent leur parcours et parlent de leur condition d’adaptation. Expérience vicariante

: leurs mots sonnent justes aux oreilles de leurs pairs.

 

En Conclusion

Les modifications dans l’approche puis dans l’organisation pédagogiques sont profondes, elles nous laissent des interrogations. Pour autant, il faudra sûrement attendre à minima un cycle complet de formation pour les dévoiler toutes.

 

En attendant, notre habitude de travail harmonisé et de partage d’expérience entre centres de formation doit conduire nos pas, et une analyse active au fil de l’eau nous permettra d’inventorier nos difficultés, d’évaluer et de comprendre. Certaines étant directement accessibles, nous pourrons collectivement proposer des solutions innovantes et envisager de façon coordonnée des réponses pertinentes. D’autres, plus structurelles dans le dispositif, nécessiteront l’éclairage et l’arbitrage de tutelles ou la participation concertée des ministères.

 

Mais cette réforme porte les changements que nous souhaitions. Il faut, avec enthousiasme et hardiesse, croire en ce que l’on a écrit et travailler à mettre progressivement en phase nos intentions initiales et nos réalisations actuelles. C’est un grand challenge pédagogique pour lequel il faut se donner le temps d’aboutir.


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