HealthManagement, Volume 6 - Numéro 2, 2013

Auteur

Prof.oğuz Dicle

Dokuz Eylül Üniversity

Izmir, Turquie

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Nous avons cru que la technologie pourrait diminuer notre charge de travail quotidienne. Mais l’histoire en a décidé autrement et nous sommes nombreux aujourd’hui à déplorer des charges de travail trop lourdes qui ont des répercussions dans la vie professionnelle comme dans la sphère privée. En écho au bond technologique amorcé dans les années 1960, la charge de travail des radiologues s’est nettement amplifiée en quelques années. Une augmentation due essentiellement à la croissance et au vieillissement de la population mondiale, à une forte demande pour des soins de santé très performants et à la pratique d’une médecine principalement basée sur un diagnostic technique. Les politiques de santé, en encourageant la marchandisation et la privatisation des soins de santé, n’ont fait qu’accélérer le processus.

 

Dans cet article il est question de la charge de travail croissante en radiologie et des difficultés qui en découlent, en particulier celles qui sont liées aux coûts et à la qualité.

 

Le Calcul De La Charge De Travail

Tout d'abord, pour éviter toute confusion, la charge de travail doit être définie. Dans la pratique quotidienne, la charge de travail s’entend comme la quantité de travail effectuée par unité de temps. En radiologie, pendant de nombreuses années, elle équivalait au nombre brut d’examens pratiqués par unité de temps. Cette valeur avait peut-être du sens dans une petite structure ou pour un radiologue travaillant seul, mais elle n’en a plus dans les organisations complexes et sophistiquées.

 

À partir des différentes études qui avaient été effectuées, des barèmes de valeurs relatives ont été créés en se basant sur la complexité de l'examen, le temps qui y est consacré, ou sur ces deux paramètres. Que ces tableaux soient ou non élaborés, ils n’en distinguent pas moins pour la plupart la consommation de ressources techniques de celles en personnel. Malheureusement, la plupart de ces barèmes ont été réalisés à des seules fins tarifaires, sans prendre en compte les activités necessaries à la qualité de l’examen autres que la rédaction du compte rendu.

 

Les Facteurs Qui Affectent La Charge De Travail

En radiologie, la charge de travail et la qualité sont affectées par des facteurs intrinsèques et extrinsèques. Les facteurs intrinsèques qui affectent directement la charge de travail et son calcul sont le nombre de radiologues qui se partagent une charge de travail, le nombre d'heures travaillées par jour ou par semaine par radiologue, le nombre de comptes rendus rédigés par jour, la diversité des examens à interpréter sur un temps donné, les methods d’affichage des images, de dictée et de dactylographie et la nature des tâches exercées en parallèle à l’interprétation et la rédaction du compte rendu.

 

En réalité, il existe plusieurs types de radiologues. La plupart d’entre nous exerçons notre profession de radiologue soit comme praticien, soit comme universitaire, et aucune fonction n’est parfaitement identique. Le type de travail effectué, le champ et la complexité des responsabilités diffèrent grandement d’un établissement à l’autre, sans qu’une méthode permette de faire un calcul comparatif de la charge de travail. Si de nombreux services ont opté pour un partage du travail selon une organisation par système ou par organe, d’autres, pas si rares, sont structurés par modalité, cette approche pragmatique étant présentée comme plus productive.

 

Le temps consacré à chaque type de tâche ou function n’est pas plus normalisé que les heures de travail, avec des différences d'un pays à l'autre. À propos du nombre d’heures travaillées, par exemple, la norme européenne est de 40 heures par semaine mais la Turquie a limité le temps de travail des radiologues à 35 heures par semaine – même si, dans la pratique, cette limite n’est pas souvent respectée. Soni et ses collègues ont relevé qu'un radiologue américain travaille en moyenne 49,3 heures par semaine, mais les radiologues indépendants 50,3 heures et les libéraux 50,4 heures (Soni et al. 2010).

 

Le nombre d’examens est le paramètre le plus utilisé et aussi le plus important dans le calcul de la charge de travail. Il y a eu une très nette augmentation du nombre d’examens en radiologie depuis les années 1970. Selon Bhargavan et al., le nombre d’examens effectués aux États- Unis a connu une augmentation de 7 % entre 2003 et 2007 (Bhargavan et al. 2009) et la charge de travail des radiologues aurait augmenté de 10 %. Le nombre d’examens par équivalent temps plein (ETP) radiologue par an est passé de 13 950 en 2003 à 14 900 en 2007 (Bhargavan et al. 2009). Le taux d’augmentation des « Relative Value Units* » par ETP radiologue reste proportionnel au nombre d’examens réalisés, une tendance inchangée depuis 1991. Le nombre moyen de scanners et d’IRM par radiologue et par an serait en moyenne annuelle de 1 440, mais avec des écarts très élevés entre les pays (Nakajima et al. 2008) ; les radiologues japonais sont ceux qui travailleraient le plus.

 

D'autres recherches sur la variation de croissance de chaque modalité ont montré que le nombre d'IRM cérébrales effectué aurait doublé entre les années 2000 et 2005 alors que le nombre d’examens radiologiques standard aurait chuté (Miller 2005). On assiste à une augmentation progressive du nombre d’examens, mais aussi à une imagerie de plus en plus complexe et ardue.

 

Souvent, le surplus de travail doit être assuré par une équipe qui n'a pas été renforcée en conséquence. Qui plus est, la démographie des radiologues est très variable selon le pays. La moyenne est par exemple de 110 radiologues par million d’habitants dans l’Union européenne. C’est en Grèce qu’elle est la plus forte avec 228 radiologues par million d’habitants, tandis que le Japon accuse la plus faible répartition au monde avec 40 radiologues par million d'habitants (OCDE, 2007).

 

Le débit de patients, les méthodes d'affichage des images et les possibilités de dictée ou de dactylographie determinant le temps passé pour chaque examen. Les systems d’information, les PACS et des systèmes de reconnaissance vocale ont une grande influence sur la charge de travail individuelle. Plusieurs articles ayant pour objet l’évaluation des effets du PACS sur la charge de travail concluent que la transition vers le « sans film » a été associée à une augmentation de la demande d’examens, pour les patients hospitalisés comme les ambulatoires.

 

Mais les conclusions ne sont pas univoques si on s’intéresse à l’impact sur le temps passé à la rédaction du compte rendu. Un certain nombre d’articles affirment que les systèmes PACS améliorent les délais de remise du compte rendu et la productivité (Lépante et al 2006 ; Srinivason et al 2006). En tant qu'utilisateur de PACS depuis douze ans, mon expérience m’a montré que le PACS discipline le débit de travail, augmente la productivité et la qualité des comptes rendus et incite à mieux se former. Cependant, je n'ai observé aucun effet positif du PACS sur la réduction de la charge de travail dans notre service. Quelques articles se sont également intéressés à la dictée vocale, pour montrer que ces dispositifs étaient pas trop chronophages, le temps passé sur les comptes rendus se trouvant augmenté de 30 % (Gale et al. 2001 ; Langer 2002).

 

Au cours des dernières années, on a reconnu qu’une part importante de la charge de travail quotidienne d'un radiologue était occupée par d’autres tâches que la redaction du compte rendu. Le radiologue doit évaluer la pertinence de l’examen, prendre en considération les données cliniques et les résultats des examens de laboratoire, et est responsable de la préparation du patient et des produits utilisés. Lorsque cela est nécessaire, il affecte les protocoles et choisit la technique d'examen. Une fois le compte rendu réalisé, il l’explique et discute des résultats avec le patient et avec ses collègues, tout cela en sus de ses activités d’interprétation et de rédaction. Selon l'organisation du service, le radiologue assume plusieurs autres responsabilités : il peut être gestionnaire de qualité, effectuer des tâches administratives, donner des conseils, être enseignant, chercheur, consultant technique ou scientifique, contrôleur ou expert. Tous ces facteurs intrinsèques ont une influence directe sur la charge de travail et son calcul.

 

Il y a également des facteurs extrinsèques parmi lesquels on peut citer la part croissante de l'imagerie dans le dépistage et le suivi, sa place dans le cadre de l'examen clinique, son utilisation pour se protéger des plaintes, l'utilisation generalise de la téléradiologie, et les politiques de santé.

 

Dans la pratique clinique, l’augmentation du nombre d'examens d’imagerie de dépistage et de suivi et les recommandations en matière de diagnostic et de traitement ont également contribué à l’augmentation de la charge de travail. Par ailleurs, si les politiques de santé ont considéré le recours à l'imagerie comme un moyen de réduire les dépenses médicales de la population sur le long terme, nous assistions parallèlement à un effondrement des remboursements des actes d'imagerie et à une tendance à la privatisation.

 

L’une des plus grandes difficultés actuelles est l’augmentation et le vieillissement la population mondiale. De nombreuses sources s’accordent pour prévoir une augmentation rapide de la proportion de personnes de plus de 80 ans après 2020 (Nations Unies, 2010 ; Palacios 2002). Une population vieillissante et croissante exige des systèmes de soins de santé très performants. Dans un contexte de ressources et de personnel limités, la médecine classique se retrouve fortement dépendante de la technologie. La radiologie devra s’attendre à relever de nombreux défis si elle veut faire face à la mondialisation économique et culturelle et à la complexité croissante de la spécialité causée par l'évolution des technologies. Aux États-Unis, un rapport Medicare présenté au Congrès en 2011 a démontré une augmentation du volume des soins de santé par usager entre 2000 et 2009 (Medicare Payment Advisory Commission 2011). Parmi les examens diagnostiques, c’est l’imagerie la plus concernée par l’augmentation des volumes, mais aussi par l’augmentation des coûts, même si les politiques de remboursement tentent de limiter l’effet.

 

En raison de sa facilité d’accès, de sa haute sensibilité et de sa spécificité, l'imagerie a maintenant remplacé certains examens cliniques parmi lesquels la palpation abdominal pour une hypertrophie hépatique ou splénique. On consacre également trop peu de temps à l'examen clinique des patients souffrant d’hernie discale. L’imagerie est également utilisée pour se prémunir des erreurs médicales.

 

Les Politiques De Santé

Les politiques de santé ont une influence directe sur la charge de travail individuelle. L’économie étant le maître mot, de nombreux pays ont adapté leur système de santé aux nouvelles donnes économiques mondiales et amorcé une chute des taux de remboursement. La Turquie est un exemple intéressant de l'explosion du nombre d’examens radiologiques suite à une transformation du système de santé. Ce changement avait pour but de favoriser l'accès au système, de centraliser les organismes d’assurance, de faire en sorte que toute la population obtienne une couverture pour les soins de santé et de promouvoir les services de santé privés. La médecine généraliste a été encouragée et les médecins rétribués selon leur performance. Le résultat a été étonnant et le nombre d’examens a dépassé la moyenne de l’OCDE au bout de quelques années. Par exemple, le nombre d'IRM par millier de patients est passé de 41 avant la transition à 76,5 après – pour une moyenne européenne de 46,4 en 2010. Le résultat le plus frappant a été la chute incroyable du prix des examens : 15 euros pour une IRM du cerveau (vs environ 45 euros auparavant) dans certains établissements privés et dans presque tous les hôpitaux publics.

 

La téléradiologie occasionne de nouveaux questionnements. Les centres qui font appel à elle pour compenser la pénurie de radiologues ont pu voir leur charge de travail diminuer mais ce sont les centres de téléradiologie qui voient alors leurs heures de travail augmenter.

 

Globalement, toutes causes confondues, pendant les dernières décennies la charge de travail des radiologues des différents pays s’est généralement amplifiée. Dans un document concernant l'épuisement professionnel et l’insatisfaction au travail des médecins américains, les radiologues se sont classés au neuvième rang parmi les spécialistes avec des résultats plus élevés que la moyenne. Plus de 50 % des radiologues interrogés ont déclaré avoir été sujet à l'épuisement. Ils mettent en cause la lourdeur de leurs responsabilités et la charge de travail (Shanafelt et al. 2012).

 

Une plus lourde charge de travail impose un rythme de travail plus soutenu et encourage une plus grande rapidité dans l’exécution des tâches. Même si le temps passé par cas clinique parvient à rester suffisant, la fatigue ainsi engendrée a tendance à émousser les compétences perceptives. Une évaluation détaillée a été effectuée par Jasinski (Jasinski 2004). Cependant, on ne peut considerer l’adage « la vitesse est source d’erreurs » ni comme une norme, ni comme une référence en cas de poursuites judiciaires. Notons que les sociétés de radiologie recommandent de 16 à 22 000 examens par équivalent temps plein et par an (Royal College of Radiologists 2012).

 

Conclusion

Aucun des chiffres bruts relevés dans les études ne pourra refléter la charge de travail réelle. Pour concevoir une charge de travail optimale, on doit prendre en consideration les variables de temps, d'argent et de qualité (Brady 2011 ; Sunshine and Burkhardt 2000). Pour conserver une charge de travail et une qualité constantes, il nous faut limiter le nombre d’examens et réaffecter le travail non réalisé. On peut essayer de réduire la charge de travail future par des efforts de maîtrise de la demande d'imagerie et l'utilisation efficace de la téléradiologie. Les recommandations du bon usage des examens d’imagerie, si elles sont correctement suivies, devraient nous aider à contrôler les abus de recours à l'imagerie. En outre de nouveaux métiers devraient émerger : les manipulateurs pourraient être formés pour interpreter les radiographies ou, devenant échographistes exclusifs, se voir attribuer la responsabilité de tous les examens d’échographie. Mais c’est sans compter sur l’avènement inéluctable de nouvelles techniques d'imagerie venant à nouveau alourdir la charge de travail.


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