HealthManagement, Volume 3 - Numéro 2, 2010

Une Prise De Conscience Et Une Nécessaire Remise En Cause De Nos Pratiques
Auteur

Dr michel Schmitt

chef de pole imagerie médicale hôpital Albert Schweitzer

colmar, France

[email protected]

 

Loin d’une réflexion philosophique stérile, un travail sur la bientraitance – et sur ce qui n’est pas son

contraire, la maltraitance – doit trouver sa place dans la vie des soignants que nous sommes, souvent trop préoccupés par le quotidien, la technique, les difficultés diagnostiques, la gestion et les problèmes socioéconomiques. Notre rôle médico-technique ne nous dispense pas de la nécessaire remise en cause qui doit nous faire réfléchir au sens du soin, de notre engagement professionnel et de nos valeurs éthiques, à la valeur de l’humain.

 

Le secteur medico-social a aborde cette thematique depuis une trentaine d’annees. Le champs medical, chirurgical et obstetrical, et plus encore les activites medico-techniques en sont trop restes quasiment absents. Et pourtant, pour important que soit cet abord, notre activite ne saurait simplement se limiter a des mesures d’efficience et de performance economiques.

 

La qualite de l'accueil et de la relation soignante, le respect de la dignite et de l’humanite des personnes qui se confient a nous, doivent rester notre priorite et s’inscrire dans une action durable, meme si nos plateaux sont aujourd’hui avant tout vantes pour leur technicite.

 

Prévenir Les Maltraitances

Comment progresser en matiere de prevention si l’on refuse d’admettre la maltraitance, si l’on considere que ≪ cela ≫ ne peut arriver chez soi, dans son propre service ou cabinet ? Comment avancer, comment prevenir si l’on considere et erige en principe que le maltraitant ne peut etre que ≪ l’autre ≫ ? Reconnaissons le d’emblee, en toute simplicite, sans donner dans le catastrophisme, la mise a l’index ou la repentance negative et sterile : nous sommes tous maltraitants, d’une facon ou d’une autre, au cours de nos activites de soin. Assumons cette realite et travaillons, ensemble, pour faire changer les choses !

 

1.La Maltraitance Dans Un Service d’Imagerie

La maltraitance, anciennement definie comme l’ensemble ≪ des mauvais traitements infliges a des personnes dependantes, sans defense, par des proches (parents, famille) ou des personnes chargees de s’en occuper ≫ dont les soignants, se decline en sept categories : violences physiques, psychologiques, financieres ou materielles, medicamenteuses, violation des droits civiques, negligence active et negligence passive. Il est aujourd’hui des facons plus pragmatiques de decliner ces maltraitances que l’on qualifie volontiers de legeres, de communes ou d’ordinaires, comme s’il existait des malheurs moins importants que d’autres.

 

Les differentes formes de maltraitances :

• la banalisation, l’indifference du soignant face a une personne soignee qui se sent devenir ≪ transparente ≫ avant de disparaitre ;

• l’ennui et l’inoccupation du ≪ patient ≫ ;

• l’absence ou le refus de communication de la part de soignants ;

• l’absence de prise en compte de la peur (de l’examen, de la douleur eventuelle, du diagnostic, de l’attente, etc.), de la gene et du sentiment d’inferiorite vecus par certaines personnes soignees et leur famille ;

• l’isolement des proches qui ne sont pas consideres par le ≪ systeme ≫ soignant ;

• la ≪ non securisation ≫ ressentie par la personne soignée lors de la realisation de certains actes et procedures ;

• la realisation d’actes non motives, inutiles, qui ne modifieront ni la prise en charge therapeutiqueni le pronostic, une fois ce dernier precise ;

• le bruit, l’exces de lumiere, le froid, les va-et-vient dans les couloirs et salles d’attente, les autres nuisances ;

• l’absence de convivialite des locaux ;

• les attentes non motivees (du rendez-vous, de l’examen, de la communication des resultats, etc.) avec l’incomprehension et l’angoisse qui en resultent ;

• plus simplement, l’absence de presence humaine et de bienveillance, etc.

 

La loi du 2 janvier 2002 elargit le concept initial, precisant que ≪ la maltraitance pouvait etre acte ou omission, pouvant porter atteinte a la vie, a l’integrite physique ou psychique d’une personne ≫. Elle introduit la notion de ≪ maltraitance institutionnelle ≫ resultant le plus souvent du deni du droit des usagers. La loi place, en effet, l’usager au centre du dispositif, veillant a ce qu’il devienne le plus autonome, c'esta-dire le plus independant possible : le ≪ soigne ≫ est un etrehumain, acteur de sa prise en charge, et non un ≪ patient ≫qui supporte et endure. La notion d’accompagnementse substitue ainsi a la notion de prise en charge qui metl’accent sur le soin en tant que geste technique. L’usager, lepatient, est d’abord et avant tout un etre humain dont il fautrespecter la dignite et les droits.

 

2.Les Problèmes Organisationnels Favorisent La Maltraitance

A cote de la maltraitance resultant de la deviance ≪ pathologique ≫ d’un individu, des facteurs de risque de maltraitance ≪ ordinaire ≫ peuvent etre depistes, generalement lies a des problemes organisationnels, tels :

• le manque de communication entre les members du personnel soignant ou entre les soignants et leur hierarchie ;

• l’absence de culture institutionnelle sur l’attention a porter a la personne soignee, sur l’empathie, l’ouverture d’esprit et l’ecoute ;

• la non definition des postures ethiques et des valeurs fondamentales de l’institution ;

• un sentiment de non reconnaissance, de solitude, de mal etre, de burn-out, ne preparant pas le soignant a etre disponible pour le soigne ;

• l’epuisement physique et moral resultant d’un travail continu aupres de personnes dependantes ou de cas pathologiques lourds ;

• le manque de recul du soignant sur son quotidien, le manque d’information sur sa structure, les incertitudes quant a son avenir.

 

Le silence contribue a la perennite de la maltraitance au sein des institutions. Il est souvent lie a la peur de l’institution, de certaines hierarchies, mais aussi a la crainte de se tromper ou de prendre ses responsabilites. ≪ La maltraitance ca se voit, ca s’entend, ca se sent, ca se touche. Mais entre voir et dire, entre entendre et interpeller, entre toucher et denoncer, il y a un fosse ou la peur fait son lit et engendre le silence. La peur de denoncer la maltraitance existe bel et bien ! ≫ (J.-Y. Gelinier)

 

3.Des Groupes De Travail Pour Prévenir La Maltraitance

L’ethique professionnelle la plus elementaire et les valeurs humaines animant chaque soignant obligent a integrer au quotidien le risque de maltraitance dans nos activites. Grace a un travail en groupe, nos pratiques professionnelles doivent etre analysees objectivement et remises en cause :

• definition de valeurs communes et de postures ethiques discutees, partagees et appropriees par l’ensemble de l’equipe ;

• definition par les professionnels des conduits inacceptables car maltraitantes ;

• travail sur le respect (de l’humain, de l’intimite, de la pudeur, etc.) ;

• reflexion sur la necessaire ≪ non-depersonnalisation ≫ de la personne accueillie : elle ne peut etre assimilee a un cas pathologique, a un numero, a un organe ;

• prise de conscience par l’equipe de soin du caractere avilissant de certaines situations (nudite physique ou psychologique, alitement, impossibilite de se mouvoir, couches, dependance, hygiene, protheses, dentiers, etc.) mettant, de fait, les patients en situation d’inferiorite ;

• culture de la parole, de l’echange et donc de l’ecoute ;

• definition claire de la hierarchie et des fonctions ;

• mise en place d’une politique de formation visant a expliquer de facon adaptee, rassurer, ecouter, informer, developper son empathie, gerer la peur et le temps, connaitre les patients et leurs pathologies ;

• volonte d’ouverture pour ne pas isoler le service : accueil de stagiaires, d’etudiants, travail partage avec des representants des usagers, etc. ; la maltraitance trouve son nid dans l’autarcie et l’isolement ;

• prevention de l’incomprehension entre soignants et personnes soignees et reflexion sur la mise en place d’un climat de respect reciproque garant de la necessaire confiance ;

• groupes de parole avec intervenant exterieur neutre, sans representant des usagers afin d’eviter toute derive du type ≪ posture attendue ≫ et de permettre aux professionnels d’exprimer librement leur vecu.

 

Tendre à La Bientraitance

Une dynamique vers la bientraitance doit faire partie de toute

demarche qualite. Elle figure au premier plan du programme de l’Agence nationale de l’evaluation et de la qualite des etablissements et services sociaux et medico-sociaux (Anesm) : ≪ La bientraitance ne se reduit ni a l’absence de maltraitance, ni a la prevention de la maltraitance. La bientraitance, demarche volontariste, situe les intentions et les actes des professionnels dans un horizon d’amelioration continue des pratiques, tout en conservant une empreinte de vigilance incontournable, car il existe une profonde resonance entre maltraitance et bientraitance ≫1.

 

1.Un Champ De Réflexion

Le concept de bientraitance nait dans un champ de reflexion marque par plusieurs etapes importantes :

• la bienfaisance, telle que definie dans le rapport Belmont (1979), repond a deux regles fondamentales : ne pas faire de tort, maximiser les avantages et reduire autant que faire se peut les dommages pouvant resulted d’un acte ;

• la bienveillance mene a aborder l’autre, plus fragile, avec une attitude positive et le souci de faire le ≪ bien ≫ pour lui ;

• la sollicitude, developpee par Paul Ricoeur (1990), consiste a adopter envers l’autre une ≪ attitude visant a retablir un equilibre plutot qu’a accentuer un desequilibre ≫ ;

• le ≪ care ≫ anglo-saxon vise a valoriser le ≪ prendre soin ≫ plutot que le ≪ guerir technicien ≫.

 

≪ La bientraitance est une culture inspirant les actions individuelles et les relations collectives au sein d’un etablissement ou d’un service. Elle vise a promouvoir le bien-etre de l’usager en gardant present a l’esprit le risque de maltraitrance ≫1.

 

2.Une Humanisation Des Structures et Des Organisations

La bientraitance procede :

• de la culture du respect de la personne accueillie, de son histoire, de sa dignite et de sa singularite, de son humanite, quel que soit son etat pathologique ou sa decheance apparente ;

• d’une maniere d’etre des professionnels qui, au-dela de la bonne realisation technique d’une serie d’actes plus ou moins sophistiques, visent a etre soucieux de l’autre en respectant ses choix et ses refus dans la limite des regles de securite, tant pour la personne accueillie que pour l’equipe soignante. Pour que cette demarche respecte des regles institutionnelles claires, la ≪ posture professionnelle ≫ doit etre definie ;

• d’une valorisation de l’expression des usagers, familles, accompagnants et correspondants.

• d’une interaction permanente entre la pensee et l’action, de maniere a eviter la depersonnalisation, l’indifference souvent protectrice, ou les reactions de violence ;

• d’une demarche continue d’analyse et de remise en cause des pratiques professionnelles.

 

Conclusion

Selon l’Organisation Mondiale de la Sante, ≪ la sante est un etat de bien etre total physique, social et mental de la personne. Elle n'est pas simple absence de maladie ou d'infirmite ≫2. En matiere de sante de l’homme, la reponse ≪ technique ≫ limitant les soins a une procedure, un geste pratique ou a un protocole n’est certes pas la bonne. Elle est pourtant rassurante pour le professionnel qui se voit reconforte par un champ d’exercice defini, borne, mesurable, quantifiable et opposable. Les soins medicaux, proches en cela du ≪ care ≫ anglo-saxon, ne doivent plus s’envisager sans respect de l’homme soigne, de la personne, de son humanite, de ses valeurs et croyances, de son histoire, sa religion et/ou sa morale, de sa famille et de sa vie sociale.

 

Cet aspect ≪ humain ≫ des soins ne laisse aucune place aux conduites maltraitantes, inacceptables en ce qu’elles se constituent comme negation de notre part d’humanite et des valeurs ethiques fondamentales du soignant ; il engage le soignant dans une reflexion sur son exercice, la definition et la discussion de ses valeurs. Cette prise de conscience est certes difficile. Elle necessite travail sur soi et recul, formation et adaptation, remise en cause permanente de son exercice. Elle valorise notre ≪ humanitude ≫. Elle est

la noblesse de notre fonction de soignant. Une réflexion sur le sens du soin sera l’objet d’un articlequi paraîtra dans notre prochain numéro.

 

« la maltraitance n’est pas l’affaire des seuls pervers, lesquels prévoient, ritualisent, orchestrent, organisent la maltraitance et en tirent plaisir. parviendrait-on à chasser de nos institutions tous les pervers qu’on n’en aurait pas pour autant fini avec la maltraitance. elle peut être le fait de chacun d’entre nous, à l’occasion d’une grande fatigue, d’une mauvaise humeur, du sentiment qu’on est soi-même maltraité. »

 

« le maltraitant est d’abord quelqu’un qui se croit maltraité : voilà ce qu’il faut comprendre. Comprendre mais non point légitimer. Faire comprendre au bourreau qu’on n’ignore pas qu’il a été victime, et cependant lui dire que sa malchance ne lui donne aucun droit à la méchanceté. »

Eric Fiat

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